jeudi 9 avril 2015

COUPERET DE L’ÉTRANGETÉ par Thierry Mariniac


Pendant trente ou quarante ans, les littératures non conformes, fil du rasoir, sont souvent venues des Amériques, l’école beat, la vague hippie,  la vague yuppie froide des Easton Ellis et Mc Inerney, les littératures transgressives des années 1980-90 des minorités sexuelles ou ethniques. Puis, à force d’être ressassé en boucle, l’exotisme s’est émoussé, et ses thèmes adaptés à l’Hexagone par les imitateurs locaux, se sont affadis.
Louison — nommée ainsi en référence à l’instrument tranchant des peines capitales que les auteurs de polar français des années 1950 appelaient La Bascule à Charlot — en se tournant vers ce qu’il y a de plus inattendu, de plus vigoureux dans la force longtemps contenue et souterraine des littératures d’expression russe modernes, cherche à retrouver la surprise, le choc et l’émerveillement. Cette fois, ils viendront d’une culture mal connue, mal comprise, enfermée par l’Occident dans des clichés vieux d’un siècle.

De même, dans la littérature d’expression française — étouffée dans l’écheveau politicien des chapelles et des réseaux, de menées éditoriales psychologisantes, mièvres, historico-convenues, ou encore la littérature des complexes, très à la mode — Louison recherchera le tranchant des courants souterrains du style et du métier, chez des romanciers souvent négligés ou jugés peu vendeurs par les très agressifs et très incultes départements marketing des éditeurs. Œuvrant souvent dans l’ombre, voire dans l’anonymat. Ambitieux programme, jugera-t-on, gageure !… Pourtant, dans un monde éditorial déclinant à la remorque d’un petit commerce écrasant tout sur son passage, il y avait bien longtemps qu’une telle volonté ne s’était exprimée avec vigueur, qu’on n’avait plus souhaité danser sur le fil de lame. C’est déjà une nouveauté, mieux même, un scoop.

le 2 avril est apparue NOSTALGIA - le premier livre de mon édition déjà en rupture dans beaucoup de librairies

                                               

                                                                 
NOSTALGIA

18 écrivains russes  se sont réunis dans ce livre. Parmi eux les grandes plumes, des grandes gueules, des provocateurs, des poètes. Sorokine, Limonove, Prilepine, Chichkine…

Quelque chose dans l’aire nous fait croire que c’est pour la dernière fois qu’on puisse les voire ensemble.  En Russie, être  écrivain, c’est un destin. Un long chemin de croix. Tolstoï a été excommunié, Dostoïevski condamné à mort et gracié juste après le battement du tambour, Gogol enterré vivant ; Soljenitsyne, Pasternak, Boulgakov… ils sont légion, ces diables des belles lettres.  Le dégel, qui permet de temps en temps de publier officiellement ces dissidents, ne dure jamais trop longtemps. Il ne faut pas être prophète pour deviner que ce rideau de fer qu’on croyait disparaitre à jamais est en train d’être restauré. Dans peu de temps, certains  de ces excellents écrivains russes deviendront les porte-parole de la grande Russie impériale, d’autres seront priés de quitter le territoire, d’autres encore crèveront la dalle et écriront des chefs-d’œuvre qu’on ne lira qu’après leur mort. Être écrivain en Russie, c’est vendre son âme ou mourir sur le bûcher de ses livres.